Vous savez peut-être que j’écris des textes courts : récits de vie, poésie et romans (novellas).
« Max était préoccupé, Il s’inquiétait de voir son copain s’enfoncer de plus en plus dans la déprime. Il vivait à présent complètement seul depuis que Christiane était devenue une jeune femme qui, c’était logique, vivait sa vie.
Elle avait trouvé de petits boulots successifs, intercalés avec des périodes de chômage et s’était établie en union libre avec l’un des premiers garçons qu’elle avait rencontrés. Il y avait déjà 5 ans de cela.
Gérard, son compagnon de pacs, lui avait rapidement donné, selon l’expression consacrée, deux jumeaux et de ce côté tout allait plutôt bien, le hic était que lui-même travaillait comme intermittent du spectacle. Les revenus du couple étaient donc aléatoires ; heureusement que Michel, dont Christiane était la fille unique, pouvait suppléer un peu, en dépit d’une pension de retraite de niveau moyen.
Bref, ce dernier se faisait du souci pour l’avenir de sa fille, devant tant d’instabilité. Une instabilité qui n’était du reste pas qu’individuelle. Alors que lui et Max, nés dans l’immédiat après-guerre, avaient connu d’abord des temps difficiles et les restrictions puis les trente glorieuses et avaient ainsi pu s’élever notablement dans l’échelle sociale – ils étaient tous deux issus de milieux très modestes – les générations montantes avaient vécu et vivaient, en revanche, les crises financières successives, la rareté de l’emploi, la perte des idéaux devant un avenir bien sombre.
Un souvenir revenait souvent à Max ; c’était lorsque Michel et lui, dans les années 70, partaient en Allemagne – pays dont ils étudiaient la langue – pour y passer des vacances de Pâques ou d’été. Certes ils devaient financer ces dernières en trouvant là-bas quelque boulot à mi-temps, souvent ingrat et mal payé, mais, sur la route de l’aller, dans la 2CV de Michel ils se disaient : « tu te rends compte de la chance qu’on a par rapport à nos parents qui ne sont jamais sortis de leur coin et ont connu les deux guerres ! Nous on est libres. » Ils avaient l’impression, de par leur jeunesse aussi, de palper dans l’air cette liberté nouvelle. L’étranger, c’est à dire le monde, s’offrait à eux.
En réaction à la situation d’aujourd’hui, totalement autre, nombre des jeunes semblaient vivre l’instant présent dans une réelle insouciance et profiter de tout ce qui s’offrait à eux : « t’inquiète ! » était devenu une sorte de leitmotiv qu’on entendait partout chez cette génération et qui désespérait Michel. Max, mieux loti par la chance, n’était pas confronté à ces problèmes : ses enfants, Sandrine et Clément avaient pu faire des études plus longues et s’en sortaient bien mieux.
Michel, solitaire, était devenu bougon, presque agressif. ./. »