Pépère Zaubert

L’autre soir, l’écriture m’a pris. Me repris, devrais-je dire. Je repensai à mon grand-père maternel, né vers 1880 et décédé en 1962 dans le Cambrésis, région du Nord. Nous autres, ses petits-enfants, l’appelions ainsi d’après le nom de la commune où il habitait.

Un homme de peu, du peuple, pauvre , tisseur en cave sur métier Jacquard, porteur de sabots. Un travailleur qui avait les valeurs de ce milieu : honnêteté et courage. Il ne savait ni lire ni écrire. Mais, chose surprenante pour moi, il vouvoyait sa fille, ma mère, née en 1910 et qui d’ailleurs le lui rendait bien. Une coutume en usage alors, peut-être ou une chose due à ses origines flamandes, de par ses parents ?

C’était une autre époque, en cette toute fin des années 50 : pas d’eau courante, pas de télé, fort peu de voitures, pas d’hypermarchés, des coopératives, pas de tracteurs, des chevaux de trait…

J’avais la chance de réussir à l’école, ce qui, grâce aux bourses nationales, me permit de faire des études secondaires assez brillantes, en lycée, à douze kilomètres de mon domicile, comme pensionnaire. Elles étaient à cette époque très peu accessibles aux jeunes villageois ; seuls trois élèves de ma classe de CM2 eurent accès à la sixième.

Mon grand-père, illettré mais sachant compter, il le fallait, devait admirer mon savoir et mes succès car, un jour, dans ses mots à lui, il me dit : « Quand est-ce que tu vas à Paris répondre à les questions ? », On quittait alors rarement sa province. Il songeait probablement aux jeux radiodiffusés à l’époque le midi et le soir, avec des feuilletons radiophoniques comme la famille Duraton. Il pensait peut-être que j’avais les capacités pour tenter de sortir de notre milieu modeste.

En 1971, c’était déjà la modernité, une tout autre époque, presque sans points communs avec la précédente, j’ai repensé à cette phrase lorsque âgé de vingt-deux ans, j’ai dû me rendre du Nord à Paris pour passer les épreuves orales du CAPES, certificat d’aptitude à l’enseignement du second degré : un grand voyage encore, en ces temps-là !

Ce fut mon premier échec de premier de la classe (j’étais deuxième parmi les recalés nationaux) et une leçon de vie. La réussite à ce concours, l’année suivante, marqua le début de ma carrière de professeur de lycée. L’ascenseur social pouvait alors fonctionner, pour les méritants…

Pensées pour ce grand-père, à l’aube de mes soixante-quatorze ans.

Je ne les ai pas vu passer !

3 réflexions sur “Pépère Zaubert

  1. Bonjour Claude. Nous faisons partie des « anciens », dans un autre monde, une autre vie !!! Tout comme toi, j’ai eu la chance d’obtenir une dispense d’âge pour l’entrée en 6ème au Lycée de jeunes filles Armand Fallières (j’avais 9 ans) et une bourse (nous étions très pauvres et le lycée était payant). Peu importe le reste, bravo à toi pour ta ténacité et ta pensée émue pour ton grand-père. Bonne continuation pour tes écrits. Bises Annette.

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  2. Oui, toi comme moi et quelques auteurs ont leur passion chevillée au corps. Tenaces mais efficaces ! Peut-être un jour en IRL ? J’aimerais vraiment ! Ou peut-être en dédicace aussi ? Bises

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