La neige tombait depuis trois jours et trois nuits. Elle étendait sur toute chose sa couverture à la fois légère et angoissante. Les bruits qui subsistaient s’en trouvaient filtrés : le crissement lent des pneus lorsque passait une rare voiture, le martèlement des coups s’élevant par intervalles de la forge voisine.
Le hameau, replié sur lui-même, était à présent injoignable par ses quatre routes d’accès. D’énormes congères barraient les chaussées et le courageux chasse-neige qui s’efforçait de passer une fois chaque jour voyait la mince voie qu’ils venait de dégager très vite à nouveau obstruée.
Le vent soufflait violemment et quiconque mettait le nez dehors était immédiatement giflé par les flocons gelés que la tempête propulsait vivement vers lui. Ils se transformaient en cristaux de givre sur les bonnets de laine ou s’accrochaient un instant aux sourcils où les premiers fondaient avant de se figer à nouveau, vite recouverts par la vague suivante.
Les habitants du lieu, quand ils sortaient, par exemple pour dégager à la pelle leur huis, se repliaient bien vite dans l’abri de leur demeure. Parfois pourtant ils gagnaient le domicile d’un voisin, tout aussi ébahi qu’eux-mêmes, et ils échangeaient quelques propos sur les conditions atmosphériques :
— Ça fait bien vingt ans que je n’ai pas vu ça !
— Oui, si ça continue, on va bientôt manquer de ravitaillement.
— Pourvu que le fuel qui alimente ma chaudière ne gèle pas dans les tuyaux entre la cuve au garage et ma cave…
L’inquiétude montait. C’était comme un personnage invisible qui se tenait constamment à vos côtés.
Les gens écoutaient la météo qui n’annonçait aucune embellie. Les établissements scolaires de la petite ville voisine avaient même été fermés pour intempéries.
On éprouvait un curieux sentiment d’angoisse mêlé cependant à l’impression d’un retour aux valeurs premières. Nos vies se débarrassaient du superflu qui d’ordinaire les accaparait entièrement, les encombrait même, pour se tourner à nouveau vers la solidarité, une sorte de méditation aussi.
Le téléphone fonctionnait encore et il n’était pas rare que l’on prenne des nouvelles des voisins, leur proposant ce dont ils manquaient
Sandrine était inquiète. Mikaël, son fils de six ans, avait été opéré de l’appendicite neuf jours plus tôt et une méchante poche de pus s’était formée près da la plaie. Il gémissait et était fiévreux. Les élancements s’intensifiaient et le tout avait pris une vilaine allure. C’était comme une boule bleuâtre que Mikaël couvrait de sa main pour tenter de calmer la douleur. Il n’osait cependant pas appuyer trop.
Les antalgiques pris depuis deux jours n’agissaient plus guère.
— Jean, dit-elle, le médecin ne pourra pas venir et nous sommes bloqués ici. Que va-t-on faire ?
Son mari restait dans ce genre de circonstances étonnamment calme :
— Je vais rouvrir la plaie, c’est la seule solution. Fais donc bouillir un peu d’eau.
Sandrine n’était pas trop d’accord mais n’avait pas le choix. Elle fit donc ce qui lui était demandé.
Quand ce fut prêt Jean plongea une lame à rasoir dans la casserole et la couvrit pour laisser le tout refroidir. Cela prit une bonne vingtaine de minutes. Sandrine allait et venait :
— Tu crois qu’on fait bien ?
— Laisse-moi faire, répondit Jean, et va m’attendre au salon, ça ira vite.
Devant ce ton déterminé Sandrine s’exécuta et Jean l’entendit à côté se parler à elle-même pour tenter de se calmer.
Il se désinfecta alors longuement les mains à l’alcool et, la casserole à la main, pénétra dans la chambre de son fils.
— Mika, je vais jouer au docteur et te soigner, tu veux bien ?
— Oui, papounet, j’ai trop mal.
— Alors, montre-moi ton ventre.
Jean passa rapidement mais soigneusement un coton imbibé d’éther sur la plaie, ce qui fit rire et crier l’enfant qui oubliait sa douleur.
— T’es un vilain docteur, c’est trop froid !
— Ne bouge surtout pas, tu ne sentiras rien.
D’un geste vif il incisa l’abcès d’où s’écoula immédiatement un petit flot de liquide grisâtre et malodorant que Jean épongea avec des linges propres qu’il avait préparés près du lit. Ensuite il désinfecta à nouveau la blessure et recouvrit le tout d’un gros pansement. Alors seulement il put essuyer la transpiration qui lui couvrait le front.
Il appela sa femme qui entra précipitamment, une terrible expression apeurée dans le regard. Elle ne dura pas car au même moment Mikaël dit :
— Maman, papa est un très bon docteur. J’ai plus mal du tout !
Et tandis que la maman donnait un gros carré de chocolat à l’enfant, Jean servit deux verres de cognac et dit :
— Sandrine, allez, on va fêter ensemble mon nouveau métier.
Mikaël souriait ……..
Tout est bien qui finit bien ! Merci Claude de cette belle lecture.
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Merci, cette fois encore, de ton passage, Ramses.
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