9 avril : Pensées
La fin d’après-midi était – il le voyait de la fenêtre de son bureau – baignée d’un soleil provocant.
Ça, c’était l’extérieur, où, à part dans les jardinets, sur les balcons, terrasses et loggias, fort peu se mouvait.
On était en avril 2020 ; la France était confinée, disait-on. Une maladie tant contagieuse qu’inconnue s’était abattue sur la planète, ravageant les pays les uns après les autres. Les gens n’avaient plus entre eux que les rares contacts autorisés. Lui n’était sorti que trois fois en trois semaines, fort peu de temps du reste. On le ravitaillait ; il était privilégié.
Comme beaucoup d’autres, il s’adonnait à des activités qu’il avait quelque peu délaissées ces derniers temps, la lecture surtout.
Parfois il prenait – puisqu’il l’avait – le temps de penser, comme ce jour-là où il avait repris la plume.
Il ne savait pas pourquoi il avait jeté les yeux vers l’extérieur car, à vrai dire, il passait le plus clair de son temps sur les écrans, la nouvelle maladie des deux derniers siècles.
Une activité qui relevait du simple divertissement, un détour ou détournement.
Comme toujours , l’écriture cursive avait stoppé cette “souvent-inanité”. Mon Dieu, il pensait !
Non, il ne s’était pas ennuyé depuis que la vie s’était quasiment arrêtée. Même, il s’était habitué à l’enfermement, au point qu’il se demandait comment cela se passerait, lorsque le monde – lui compris – retrouverait sa totale liberté de mouvement, tout au moins celle qu’assurent, paraît-il, les droits de l’homme.
Un nouveau coup d’œil à la fenêtre : toujours ce soleil insolent. La nature , en son printemps, n’avait cure des comportements de l’Humain. À peine avait-elle remarqué les soubresauts alentis des attitudes dudit.
Comme toujours, les mots alignés lui apportaient la joie, une sorte de vérité plus profonde que le matériel, même s’ils en procédaient eux aussi. Mais pas que. Les mots sont également la transcendance, l’expression d’une pensée. Il n’aurait pas dû abandonner la plume aussi longtemps. Le confinement avait fini par le ramener à cet accord avec lui même.
Un dernier regard par la fenêtre : l’éclat doré du soleil commençait à peine à faiblir.
3 mai : Demi-jubilé
Cinq lustres, vingt-cinq ans passés, que l’émotion m’a fait prendre la plume. Ce fut l’ouverture à une autre vie, largement dominée par l’écrit.
Je ne puis que me réjouir de ces premières amours interdites ; d’abord de par leur apport dans ma vie personnelle (ici l’anecdotique), ensuite et surtout par leur effet secondaire ou comment l’amour mena à l’amour de l’écriture (le principal).
C’est donc par une volonté de rompre le secret — une sorte de dialogue éclairant – aussi– avec moi-même — que naquit ce goût du partage littéraire. Chez moi il se focalisa d’abord sur le vécu, principalement sous une forme poétique, mais un vécu tendant également à se dire dans ce qu’il a d’humainement universel.
Puis un mûrissement personnel me conduisit à découvrir l’universel aussi dans la fiction. “Dans le roman, il y a tout”, comme on le dit parfois.
Dès lors, je pus mener de front alternativement fiction et non-fiction, romans courts, récits de vie et poésie. l’objectif principal étant toujours de rencontrer le bonheur personnel dans et par l’acte créatif du dire, de l’écrire plutôt, en visant le beau et/ou le bien dire.
C’est peut-être cette dernière nuance qui fait que d’auteur on devient écrivain.
Comme des amis écrivains l’ont récemment exposé, quand de surcroît vient la reconnaissance d’autrui, même très modeste, alors ce bonheur individuel devient complet : mélange étonnant du partagé et du personnel. Complexité du monde dans le microcosme qu’est l’Homme comme dans le macrocosme du non-soi.
10 mai :
Ma France, printemps 2020
Saison en étrangeté ;
Mars a pour partie normalement passé,
Sans doute mai le rejoindra,
Mais avril kidnappé bien fort nous étonna.
Il a passé, pour certains peut-être traînant,
Pour d’autres en parenthèse filant.
Ce fut mon cas. On le dirait ectoplasme
Dont il ne reste trace, un évanescent phasme.
Pour moi, cette année, l’avril n’a existé.
En ce jour de mai bizarre encore, l’esprit l’a occulté.
Pour moi, chanceux de ne connaître drames proches,
En lui rien d’important le souvenir n’accroche.
C’est comme si on me l’avait volé,
Il a perdu tout ses attraits.
Bien peu même l’on vit ses giboulées
Que l’Allemand rigoureux en mars ne situe jamais.
Il les nomme “Aprilschauer”
Et en cette année où sévit l’horreur
Elles se traînent jusqu’au “joli mois de mai”
Qu’avril en pesanteur a su pour l’instant détrôner.
Attendons cette seconde partie du mois,
Tâchant d’y retrouver la joie,
Sérieux, prudents,
Comme il sied à chacun en confinement.
11 mai : Premier jour différent depuis huit semaines où je n’ai quasiment pas quitté mon domicile.
Occupé ce matin, je n’ai pas encore mis le nez dehors ; je vais le faire dans l’après-midi. Étrange sensation : comme une petite appréhension, diffuse, oui très légère. Ce n’est pas la peur du covid, non, plutôt le sentiment d’être jeté hors des nouvelles habitudes acquises. Reconduire la voiture en extérieur pour la première fois, sortir sans le fameux sésame l’autorisant brièvement. Pénétrer dans un monde redevenu nouveau avec l’impression d’accomplir une action vaguement aventureuse ; avoir perdu les repères, redécouvrir les choses avec au cœur la question fugace : vais-je oser ce pas ? Oui mais pas sans une petite crainte qui se niche dans un recoin du cerveau à mon corps défendant.
La renaissance à un nouveau monde. Puisse-t-il tenir les promesses que jamais il n’a faites !
Mon cher Claude,
J’adore ta façon de décrire ce que nous avons vécu…
Ces séparations obligées, ces amours perturbées, ces enfants cloîtrés, ces télétravailleurs forcés, ces magasins dévalisés (surtout en PQ, pâtes, farine et sucre), ces avions cloués au sol, ces frontières cadenassées, ces passants furtifs et masqués, ces experts évincés, ces compteurs journaliers de morts, de survivants, de réanimés, de masques…
Nous avons vécu un grand-guignol interplanétaire, dont personne ne connaît l’épilogue…
Je te serre la main, mon ami, pour conjurer le mauvais sort !
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